Dénonciation de harcèlement et licenciement « rétorsion » : nouvelles exigences quant au régime de la preuve
Publié le :
15/11/2023
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Aux termes d’un arrêt du 18 octobre 2023, la Cour de cassation fixe de nouvelles exigences quant au régime de la preuve du lien de causalité entre la dénonciation d’un harcèlement et le licenciement intervenu peu après.
Licenciée pour faute grave, une salariée a imputé le véritable motif du licenciement à son dépôt de plainte pour harcèlement sexuel.
Au regard du peu de temps séparant la dénonciation du harcèlement et le licenciement, la Cour d’appel d’Amiens a jugé que le licenciement constituait le véritable motif de la rupture du contrat de travail et a prononcé sa nullité.
L’employeur s’est pourvu en cassation pour exposer que, d’abord la lettre de licenciement fixe les limites du litige, ensuite ladite lettre ne faisait pas mention du harcèlement sexuel dénoncé mais exclusivement des manquements graves de la salariées constitutifs pour l’essentiel selon l’employeur d’insubordination. Ces griefs étaient en conséquence de nature à justifier à eux seuls le licenciement pour faute grave.
La question principale posée à la Cour de cassation était donc la suivante : les juges du fond peuvent-ils se contenter d’une concomitance entre la dénonciation du harcèlement par un salarié et son licenciement pour en déduire la nullité dudit licenciement ? Ou doivent-ils examiner les motifs du licenciement tels que mentionnés dans la lettre de notification et, selon le contenu de cette dernière, exiger du salarié ou de l’employeur d’apporter la preuve de la véritable motivation du licenciement ?
Au visa des articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail, la Cour de cassation retient la deuxième option.
La protection du salarié dénonçant un harcèlement
En premier lieu, au fondement de son arrêt, il convient de relever que la chambre sociale vise les dispositions du code du travail relatives à la protection des salariés dénonçant des faits de harcèlement, qu’il soit moral ou sexuel, soulignant ainsi que sa décision concerne bien les deux catégories de harcèlement.En second lieu, la Haute Juridiction rappelle s’il en était besoin que les textes identifiés protègent le salarié du harcèlement lui-même mais également de toute mesure de « rétorsion ».
A noter que dernièrement, par un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation a décidé que la nullité du licenciement devait s’imposer même si le salarié n’avait pas expressément qualifié les faits avec de harcèlement dans sa dénonciation (Soc. 19 avr. 2023, n° 21-21.053 B).
Encore faut-il prouver que le licenciement est une mesure de rétorsion à la dénonciation de harcèlement, ce qui exige que le juge contrôle la véritable cause du licenciement.
La preuve du licenciement comme mesure de rétorsion
Aux termes de son arrêt du 18 octobre, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel et se prononce quant à la preuve du lien de causalité devant unir la dénonciation et le harcèlement :« (…) Vu les articles L. 1152-2, L. 1152-3 et L. 1154-1 du code du travail :
5. Il résulte de ces textes que lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, il appartient au salarié de démontrer que la rupture de son contrat de travail constitue une mesure de rétorsion à une plainte pour harcèlement moral ou sexuel. Dans le cas contraire, il appartient à l'employeur de démontrer l'absence de lien entre la dénonciation par le salarié d'agissements de harcèlement moral ou sexuel et son licenciement.
6. Pour prononcer la nullité du licenciement, l'arrêt retient que l'engagement de la procédure de licenciement pour faute grave trouve son origine dans la dénonciation par la salariée de faits de harcèlement sexuel, laquelle a manifestement pesé sur la décision de l'employeur, et que ce dernier n'établit pas que cette dénonciation a été faite de mauvaise foi.
7. En se déterminant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la lettre de licenciement ne fait pas mention d'une dénonciation de faits de harcèlement sexuel, sans rechercher si les motifs énoncés par la lettre de licenciement pour caractériser la faute grave étaient établis par l'employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. (…)»
Si la règle posée par la Cour de cassation apparaît de principe, son sens et sa portée ne sont cependant pas exempts d’interrogations.
- « Il appartient au salarié de démontrer… » : les termes choisis par la cour suprême laissent entendre que dans l’hypothèse où l’employeur motiverait le licenciement par un motif caractérisant une cause réelle et sérieuse (par exemple comme en l’espèce une faute grave) détaillée dans la lettre de licenciement, il appartiendrait au seul salarié de « démontrer », c’est-à-dire de prouver, que ce motif n’est pas la véritable cause du licenciement ; étant précisé que la proximité temporelle entre la dénonciation du harcèlement et le licenciement est ici jugée insuffisante pour caractériser la démonstration imposée au salarié.
- « Dans le cas contraire… » semble signifier « lorsque les faits invoqués dans la lettre de licenciement ne caractérisent pas une cause réelle et sérieuse de licenciement » : sous réserve de confirmation, cette interprétation ouvre à l’employeur une perspective d’échapper à la nullité du licenciement.
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