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Preuve illicite et preuve déloyale : Alignement de jurisprudence

Preuve illicite et preuve déloyale : Alignement de jurisprudence

Publié le : 10/01/2024 10 janvier janv. 01 2024

Aux termes d’un arrêt rendu le 8 mars 2023 se rapportant à de la vidéosurveillance, la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’une preuve illicite caractérisant une atteinte à la vie privée pouvait être utilisée en justice, sous condition de contrôle de proportionnalité des juges du fond.

Restait à évoquer le sort en justice d’une preuve déloyale, c’est-à-dire celle obtenue à l’insu d’un interlocuteur par stratagème ou manœuvre.

Jusqu’à présent, au visa de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du code civil, la Cour de cassation décidait que « en vertu du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, l'employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve » (Ass. plén. 7 janvier 2011, n°s 09-14.316 et 09-14.667, Bull. 2011, Ass. plén. n° 1 ; 2e Civ., 9 janvier 2014, n°s 12-23.387 et 12-17.875, Com. 10 novembre 2021, n°s 20-14.669 et 20-14.670, Soc., 18 mars 2008, n° 06-40.852, Bull. 2008, V, n° 65 ; Soc., 4 juillet 2012, n° 11-30.266, Bull. 2012, V, n° 208).

Aux termes de 2 arrêts rendus le 22 décembre 2023 n° 20-20.648 et 21-11.330, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation s’aligne sur la jurisprudence de sa Chambre criminelle ( voir notamment Cass. Crim. 11 juin 2002) et celle de la CEDH (décision du 9 février 2006) et décide sans distinguer que « l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats ».

Les motivations du premier arrêt n°20-20.648 sont à cet égard éloquents, justifiant dans le détail le revirement :

« (…) 8. L'application de cette jurisprudence peut cependant conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits.

9. La Cour européenne des droits de l'homme ne retient pas par principe l'irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales. Elle estime que, lorsque le droit à la preuve tel que garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales entre en conflit avec d'autres droits et libertés, notamment le droit au respect de la vie privée, il appartient au juge de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence. Elle ajoute que « l'égalité des armes implique l'obligation d'offrir, dans les différends opposant des intérêts à caractère privé, à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ». Elle souligne que ce texte implique notamment à la charge du juge l'obligation de se livrer à un examen effectif des moyens, arguments et offres de preuve des parties, sauf à en apprécier la pertinence pour la décision à rendre (CEDH, arrêt du 13 mai 2008, N.N. et T.A. c. Belgique, req. n° 65087/01).

10. En matière pénale, la Cour de cassation considère qu'aucune disposition légale ne permet au juge répressif d'écarter les moyens de preuve produits par des particuliers au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale (v. notamment, Crim. 11 juin 2002, n° 01-85.559, Bull. crim. 2002, n° 131), le principe de loyauté de la preuve s'imposant, en revanche, aux agents de l'autorité publique (Ass. plén., 10 novembre 2017, n° 17-82.028, Bull. Ass. plén. 2017, n° 2).

11. Enfin, soulignant la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites, et relevant le risque que la voie pénale permette de contourner le régime plus restrictif des preuves en matière civile, une partie de la doctrine suggère un abandon du principe de l'irrecevabilité des preuves considérées comme déloyales.

12. Aussi, il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l'illicéité ou la déloyauté dans l'obtention ou la production d'un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l'écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi. »

En l’espèce, que des pièces constituent des enregistrements d’entretiens clandestins ne suffisait pas à les écarter des débats.

L’employeur était donc autorisé à produire de telles preuve au soutien du licenciement, sous condition de se soumettre au contrôle de proportionnalité des juges du fond.

S’agissant de la deuxième affaire, l’Assemblée Plénière maintient la ligne précédemment retenue, à savoir  « qu'un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier, en principe, un licenciement disciplinaire, sauf s'il constitue un manquement de l'intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ».

En l’espèce, une conversation privée qui n'était pas destinée à être rendue publique ne pouvait donc pas constituer un manquement du salarié aux obligations découlant du contrat de travail.
 

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