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Abandon de poste et démission présumée

Abandon de poste et démission présumée

Publié le : 05/06/2023 05 juin juin 06 2023

Création de la LOI n°2022-1598 du 21 décembre 2022 après l’initiative d’un amendement déposé par le député Renaissance, Dominique Da Silva, l’article L. 1237-1-1 du code du travail prévoit désormais que le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de le faire est présumé démissionnaire. 

Cette mise en demeure peut se faire par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge.

Le délai minimal laissé au salarié pour reprendre son poste de travail est de 15 jours à compter de la présentation de la lettre recommandée ou de la lettre remise en main propre contre décharge (article R. 1237-13).

À l’expiration de ce délai, le salarié est présumé démissionnaire. Les règles législatives, conventionnelles et jurisprudentielles relatives à la démission doivent donc trouver à s’appliquer.

Le gouvernement propose sur le site du ministère du travail une FAQ destinée à éclairer les modalités pratiques de mises en œuvre de ce nouveau mécanisme qui suscite observations et interrogations. 
 
A lire l’auteur de l’amendement, la présomption de démission a pour objectif de « limiter le recours des salariés à la pratique de l’abandon de poste lorsqu’ils souhaitent que leur relation de travail cesse, tout en étant indemnisés par l’assurance chômage ». 

Cette nouvelle restriction des droits salariés serait elle l’arme fatale pour équilibrer l’Unedic et assurer enfin une mécanique juridique juste et solide ?

Pas si sûr en pratique et pas si simple en droit.
 

Une pertinence économique discutable 

Aucune étude complète, à notre connaissance, ne s’est intéressée pour le moment à la motivation des abandons de postes ; ce qui est regrettable, car c’est sans doute là l’un des cœurs du sujet. 

L’étude la plus récente est celle de la DARES (Direction de l’animation, de la recherche, des études et de la statistiques) publiée le 22 février 2023 (donc 5 mois après l’amendement déposé le 30 septembre 2022) selon laquelle près de 71 % des licenciements pour faute grave auraient pour motif un abandon de poste.

Ce chiffre peut paraitre important, il est toutefois regrettable que cette étude ne s’intéresse ni aux raisons des abandons de poste, ni à une analyse plus fine des chiffres avancés : l’étude ne dit pas, par exemple, combien parmi ces 71 %, d’abandon de poste ont désorganisé l’entreprise, ni combien ont été négocié pour rompre le contrat de travail dans les hypothèses (que la pratique sait nombreuses) où le contrat de travail ne pouvait plus être maintenu.

Par ailleurs, prétendre que les salariés abandonnent leur poste pour abuser avec malice des allocations chômage, c’est oublier que leur perception n’a rien d’une rente de situation et demeure subordonnée à la recherche active d’un emploi (C. trav., art. L. 5411-6).
Le « phénomène » de l’abandon de poste aurait mérité d’être approfondi pour être mieux compris et donc mieux maitrisé.

Enfin, la motivation selon laquelle cette loi viserait à stopper les abus qui causent la pertes de l’Unedic ne tient pas :

En 2020, selon le rapport de l’Unedic elle-même, 70 % de son déficit découlait du financement de l’activité partielle (55 %) et des reports de cotisation et autres baisses de recettes (15 %).

A considérer que l’abandon de poste soit bien le fléau dénoncé par les auteurs de l’amendement, ce qui reste à démontrer, les exclure en tout ou partie des allocations de retour à l’emploi n’assurera sans doute pas la fin du déficit de l’Unedic.

En d’autres termes, la démission présumée apparaisse semble être davantage une mesure politique qu’une solution économique.
 

Une mécanique injuste et risquée en droit

Déjà, il est regrettable que la loi emploie le terme de « démission volontaire », car contrairement à ce qui est induit, une absence délibérée n’est pas nécessairement illégitime.

Toutefois, au-delà de sa maladresse rédactionnelle, la loi nouvelle suscite nombre d’interrogations.

En premier lieu, la loi octroie à l’employeur un singulier pouvoir : celui de juger le caractère volontaire de l’abandon et partant, de juger qui peut bénéficier du chômage.

Alors que l’égibilité à l’allocation de retour à l’emploi est de la compétence exclusive des instances paritaires régionales, la loi donne désormais à l’employeur le pouvoir de préqualifier la rupture du contrat de travail et partant d’exclure une catégorie de demandeurs d’emploi de l’indemnisation chômage.

A noter que cette situation particulière de démission privative de toute indemnité va à contre sens du courant d’extension de la couverture chômage à certains salariés démissionnaires, puisque 17 cas de démissions permettent en effet de bénéficier des allocations chômage.
 

En second lieu, la protection des salariés posée par cette loi inquiète et interroge :

(i) D’abord, la loi inquiète en disposant qu’en cas de contestation du salarié et pour assurer la protection de ses intérêts, l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes, qui statue au fond dans un délai d’un mois suivant sa saisine.  

Or, les praticiens savent combien les greffes de conseils de prudhommes sont saturés : les contentieux se comptent en mois, parfois en années et les procédures dites accélérées déjà existantes, par exemple celle intéressant les prises d’acte, ne sont pas à meilleure enseigne, surtout dans certaines juridictions particulièrement saturées comme le CPH de NANTERRE.

En clair, si un salarié est à tort privé de ses indemnités, la justice n’aura sans doute pas les moyens matériels de le rétablir rapidement dans ses droits, ce qui ne lui permettra pas de toucher les indemnités dont son employeur peut l’avoir indument privé.  

L’argument de la procédure accélérée n’est pas sérieux.


(ii) Ensuite, la loi interroge, quant aux éventuelles condamnations que pourrait subir le salarié en sus de son exclusion aux allocations chômage : en effet, quid du préavis normalement dû en cas de démission ? 

Il est clair qu’en qualifiant de démission un abandon de poste qu’il juge non justifié, l’employeur ne permet pas l’exécution d’un quelconque préavis ; pour autant, la jurisprudence considère classiquement que la non-exécution d’un préavis cause nécessairement un préjudice à l’employeur.

C’est en quelque sorte le « double effet kiss cool » de la démission présumée qui ouvre pour le salarié à la double peine : exclusion des indemnités chômage et condamnation à indemniser l’employeur du préjudice causé par l’absence de préavis

En sus du temps que pourrait mettre la justice à traiter son affaire, le salarié prendra-t-il ce risque ?

Enfin, la loi expose aussi les employeurs car dans l’hypothèse où le salarié obtiendrait gain de cause devant le juge, quelles en seraient les conséquences ? Si la présomption de démission est renversée, la rupture du contrat de travail sera imputable à l’employeur et donc qualifiée de licenciement, mais s’agira-t-il d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, soumis au barème dit Macron ou d’un licenciement nul car discriminatoire, avec les lourdes conséquences susceptibles d’en résulter ?     

Gageons que la sagesse des juges et la minutie rédactionnelle des décisions à venir corrigera les écueils du législateur. 
 

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