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Acte II - Le rôle du non fungible token (NFT) dans le processus créatif

Acte II - Le rôle du non fungible token (NFT) dans le processus créatif

Auteur : Mazhevenn Le Mestric
Publié le : 23/05/2022 23 mai mai 05 2022

En mars 2021, l’œuvre Morons de Banksy brûle lors d’une cérémonie organisée à New York.  L'événement est retransmis en streaming et également disponible sur la plateforme Youtube. Le propriétaire du numéro #325 des 500 Morons a réduit en cendre son œuvre pour une raison : sa numérisation en NFT.
 
Après avoir défini la notion de jeton non fongible ou NFT (cf notre premier article), il reste à apprécier la portée de la « tokenisation» numérique des œuvres d’arts dans le processus créatif des œuvres de l’esprit, et plus précisément, déterminer si le NFT est :
  • Un élément de l’originalité de l'œuvre d’art, (1)
  • Un nouveau support de l'œuvre de l’esprit, (2)
  • Une mesure technique de protection. (2)
1. Un élément original de l’oeuvre d’art
Le code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit la qualification des œuvres d’arts comme d'œuvre de l’esprit. Deux conditions cumulatives sont posées par la loi pour constituer une œuvre de l’esprit. L’un des deux critères est qu’une œuvre de l’esprit se doit d’être originale afin de pouvoir être protégé par le droit d’auteur.

Cette originalité se traduit d’une part par le travail intellectuel accompli par l’auteur et d’autre part, par la sensibilité que ce dernier transmet dans l’acte de création. Un lien entre l’auteur et son œuvre doit être caractérisé dès l’étude d’une œuvre.

C’est ce qui permet aux juges de reconnaître comme œuvre de l’esprit la création sculpturale inspirée d’un tableau ou l’œuvre cinématographique dont le scénario se base sur une œuvre littéraire. L’auteur de l'œuvre seconde a donné un travail intellectuel et une sensibilité suffisante permettant de la distinguer de l'œuvre inspirante.

Ainsi, il doit être caractérisé sur une œuvre de l’esprit originale, l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Cependant, les NFT n’ont pas d’influence directe sur l’originalité d’une œuvre de l’esprit.

Le travail intellectuel et la sensibilité de l’auteur ne dépendent pas de sa certification en NFT.

L'œuvre d’art proposée en jeton non fongible a été créée en amont, sans prendre en compte un tel procédé.
2. Un nouveau support de l’oeuvre d’art
Après l’originalité, la seconde condition pour qualifier une œuvre de l’esprit est sa fixation sur un support.

En effet, une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur doit avoir un support matériel. Aussi, il pourrait être tentant de voir le NFT comme le support permettant la fixation de l'œuvre originale.

La « tokenisation» d’une œuvre est souvent abordée comme un mode d’exploitation dans les contrats de cession. Un mode d’exploitation se décline bien souvent en un support spécifique. Les œuvres peuvent être cédées sous plusieurs supports.

En pratique, certains artistes visent le NFT comme un mode d’exploitation bien particulier. Par exemple, le sculpteur Jeff Koons a déclaré vouloir envoyer quelques-unes de ces créations sur la Lune et numériser chacune d’entre elles en NFT. Une telle utilisation d’un jeton non fongible pourrait être l’affirmation d’un support à part entière d’une œuvre de l’esprit.

Or, ce n’est pas si simple.

En effet, peu importe la nature de l'œuvre (photographie, musique ou peinture) : la création originale vendue en NFT est avant tout une numérisation en un fichier informatique.

En principe, un fichier JPEG, MP3 ou MP4 peut être infiniment copié. Il n’est pas possible pour l’utilisateur de faire la différence entre le fichier original et ses copies. Ce que permet la certification en NFT, c’est la distinction du fichier original des possibles copies. Ce dernier va bénéficier d’une protection technique permettant d’affirmer l’originalité du fichier comparé à un autre.

De surcroit, la fixation sur un support de l'œuvre n’est pas liée à la certification en NFT.

Pourtant, la plupart des artistes souhaitent dédier leurs créations à la vente en jeton non fongible.

En réalité, un tel positionnement reflète une volonté pour ces auteurs d’accorder une valeur, artistique et/ou pécuniaire, à l'œuvre numérisée en NFT. C’est aussi le souhait de profiter d’un phénomène de mode qui accompagne une telle numérisation.

De cette analyse, il résulte que le NFT n’est pas un processus créatif d‘une œuvre mais une technique permettant sa protection en droit.
3. Une mesure technique de protection de l’oeuvre d’art
L’avènement des mesures techniques de protection (MTP) émane de l’utilisation croissante de l’informatique et des données numériques.

Les MTP sont définies par le CPI à l’article L 331-5 comme étant « destinées à empêcher ou à limiter les utilisations non autorisées par les titulaires d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur d'une œuvre».

L’alinéa 2 du même article précise que les MTP visées sont celles réputées comme efficaces, à savoir, « lorsqu'une utilisation visée au même alinéa est contrôlée par les titulaires de droits grâce à l'application d'un code d'accès, d'un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'objet de la protection ou d'un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection

Par exemple, la cryptographie est une mesure de sécurité technique permettant la protection d’un objet numérisé.

L’application du régime des MTP aux NFT permettrait de prévoir notamment :
 
  • l’obligation d’information lors d’un contrat de cession pour chaque mode d’exploitation ( art. L 131-9 du CPI),
  • ou encore d’utiliser la peine pénale en cas d’entrave à la MTP. ( art. L 335-3-1 du CPI).

Cependant, un flou juridique se dessine concernant la qualification d’une MTP.

C’est principalement le caractère « efficace » d’une MTP qui reste vague. En théorie, une MTP reconnue efficace devrait garantir une protection sans faille. En pratique, aucun procédé technique ne promet réellement une protection indestructible.

En principe, la notion de MTP pour NFT pourrait apparaitre comme la qualification idoine.  Il reste néanmoins des limites relatives à la notion même de MTP. L’application de ce régime aux NFT ne serait donc pas sans faille.

***
Les jetons non fongibles sont difficilement rattachables à l’acte de création d’une œuvre de l’esprit et de sa fixation sur un support. L’utilisation de NFT dans la vente d'œuvres artistiques semble être surtout une garantie de l’originalité des fichiers informatiques.

Raison pour laquelle le régime juridique des MTP serait sûrement le plus adéquat.

L’objectif de chacune de ces techniques (NFT et MTP) est le même, à savoir la protection des créations, la numérisation devenant de plus en plus incontournable.

Il y a un domaine qui a connu de nombreux bouleversements suite à la démocratisation d’internet, c’est l’industrie musicale. Prochainement, les NFT pourraient avoir une influence sur la distribution et la commercialisation d'œuvres musicales au sein du numérique.

To be continued…

Article écrit par Mazhevenn Le Mestric

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