Affaire DELIVEROO : condamnations, requalification et harcèlement
Publié le :
29/07/2022
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juillet
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2022
Le 19 avril 2022, le Tribunal correctionnel de PARIS a condamné la société DELIVEROO à payer une amende de 375.000 €, outre une peine d’emprisonnement de 1 an avec sursis pour 2 de ses dirigeants pour « travail dissimulé », retenant notamment que les livreurs étaient soumis à de nombreuses obligations (plannings stricts de créneaux attribués en fonction de performance, uniforme turquoise, attitude précise à adopter devant le client, etc.) et qu’en conséquence, ils subissaient la subordination d’un « patron », au sens du droit du travail.
Quelques semaines après le pénal, c’est au tour de la justice civile de sanctionner le système DELIVEROO : aux termes d’un arrêt du 6 juillet 2022, la 6ème Chambre du Pole 6 de la Cour d’appel de Paris vient en effet de reconnaitre dans un même arrêt l’existence d’un travail dissimulé et une situation caractérisant un harcèlement moral causé par un management oppressant.
En l’espèce, un livreur à vélo engagé par la société Deliveroo en qualité d’autoentrepreneur prétendument indépendant a vu son contrat de prestation de services résilié brutalement et donc sans indemnité, au motif de « manquement grave dans le cadre de l’exécution de la prestation de service ».
Le livreur a saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande de requalification de son contrat de prestation de services en contrat de travail et partant, des dommages intérêts y afférents, exposant de surcroit avoir subi un harcèlement de la part de son employeur dissimulé.
La formation de départage du Conseil de prud’hommes a fait droit à la requalification mais a rejeté plusieurs autres prétentions du demandeur, dont celle tenant à la condamnation d’un système de harcèlement.
Aux termes de son arrêt du 6 juillet, la Cour d’appel confirme la requalification mais va bien au-delà, reconnaissant pour la première fois le travail dissimulé (1) et le harcèlement (2).
1. La Cour d’appel innove d’abord en reconnaissant le travail dissimulé, ce qu’elle rejetait jusqu’à présent.
Dans son analyse, la Cour d’appel caractérise avec soin le lien de subordination, retenant particulièrement 2 critères :- L’absence d’indépendance :
« (…) Il est ainsi établi que la géolocalisation servait à exercer un contrôle permanent sur les livreurs […] du respect de directives données et que la société Deliveroo s’adressait collectivement aux livreurs […], en les menaçant d’exercer un pouvoir de sanction unilatéralement défini en cas de non respect de ses instructions, en des termes et selon des modalités non prévues au contrat de prestation de services ».
- Les sanctions pécuniaires ou numériques par un accès restreint à la plateforme :
« (…) Deliveroo a donné (au livreur) durant la relation contractuelle des directives sur sa façon de se vêtir, de procéder à la prise en charge des commandes et à leur livraison, ainsi que sur la gestion de son emploi du temps et sur le lieu d’exercice de la prestation, qu’elle en a contrôlé l’exécution et qu’elle exerçait un pouvoir de sanction ».
Au visa de circonstances et de pièces minutieusement appréciées, la Cour a considéré que l’indépendance des livreurs était de façade, de sorte que confirmant la décision des premiers juges, la requalification de la relation en contrat de travail s’imposait.
Toutefois, la Cour est allée plus loin que le Tribunal, en sanctionnant la volonté caractérisée de la société DELIVEROO de détourner les mécanismes légaux :
« (…) (le demandeur) établit qu’il est devenu indépendant pour pouvoir travailler pour le compte de la société́ Deliveroo qui en faisait une condition, qu’il a cependant travaillé dans le cadre d’une organisation collective imposée par la société́ Deliveroo et dans le cadre d’un lien de subordination juridique permanent.
Il démontre que l’habillage juridique imposé par la société́ ne correspond pas à la réalité́ de son exercice professionnel et que son employeur avait l’intention de contourner les règles applicables et de dissimuler son emploi de salarié ».
Il démontre que l’habillage juridique imposé par la société́ ne correspond pas à la réalité́ de son exercice professionnel et que son employeur avait l’intention de contourner les règles applicables et de dissimuler son emploi de salarié ».
En considération de l’intention délibérée de l’employeur de travestir les relations de travail en vue de s’exonérer de ses obligations de déclaration et de cotisation, la Cour a jugé établie l’infraction de travail dissimulé prévue aux articles L8221-1 et suivants du Code du travail.
A noter que l’expression « habillage juridique […] ne répondant pas à la réalité de l’exercice professionnel » est celle utilisée par le Tribunal correctionnel dans sa décision précitée du 19 avril 2022, caractérisant ainsi la ferme intention de la juridiction parisienne d’unifier sa position au pénal comme au civil.
2. La Cour innove encore en reconnaissant corrélativement au travail dissimulé un management constitutif de harcèlement
En cohérence avec les récentes décisions ayant condamné les plateformes de distribution par coursiers, la Cour a procédé à une analyse approfondie in concreto de la prestation de livreur DELIVEROO.Le Tribunal correctionnel avait déjà relevé la difficile situation des livreurs au quotidien, avec l’usage pour l’employeur de procédés peu respectueux tels que le tutoiement, le ton ou le peu de considération porté par les managers à l’égard du personnel considéré, selon l’expression retenu au pénal, comme une simple « variable d’ajustement ».
La Cour d’appel suit la voie tracée par le Tribunal correctionnel, en prenant soin de relever notamment le vocabulaire et le ton des managers qualifié d’« agressif », mais plus encore les menaces récurrentes de l’employeur, en particulier celle de la «(…) rupture du contrat si un avenant au contrat de prestation de service n’était pas signé ou si le livreur reste injoignable (…)».
Au soutien de la qualification de harcèlement moral, la Cour d’appel a ainsi caractérisé un management jugé oppressant de la part de la société DELIVEROO, avec des effets dévastateurs sur la vie privée des livreurs, notamment lorsque des messages leur ont été envoyés en dehors du service :
« (…) Les pressions exercées par la société́ Deliveroo […] ont excédé́ l’exercice d’un pouvoir normal de direction et le harcèlement moral est établi.
Dès lors que l’employeur est, par ses méthodes managériales, directement à l’origine du harcèlement moral subi par (le demandeur), il ne justifie pas avoir mis en place de dispositions pour le prévenir ».
Dès lors que l’employeur est, par ses méthodes managériales, directement à l’origine du harcèlement moral subi par (le demandeur), il ne justifie pas avoir mis en place de dispositions pour le prévenir ».
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Si les précédents contentieux s’étaient conclus de manière relativement paisible et favorable pour DELIVEROO, principalement en raison de dossiers insuffisamment étayés et d’absence de pièces probantes, la présente affaire opère un changement radical de cap et caractérise une détermination claire et unifiée des juges à combattre non seulement la précarité des travailleurs de plateforme, mais plus encore un « modèle » économico-social dévastateur en matière de relations humaines.Un « modèle » qui, à lire les communications publiques de DELIVEROO dans les jours ayant suivi le prononcé de l’arrêt, aurait d’ores et déjà été spontanément et profondément modifié…
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