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Versions successives d’une pièce de théâtre et droit des auteurs

Versions successives d’une pièce de théâtre et droit des auteurs

Publié le : 30/09/2022 30 septembre sept. 09 2022

Paris, pôle 5, ch. 1, 11 mai 2022, n° 19/20486

L’histoire ne manque pas d’originalité.

L’auteur 1 d’une première version d’une pièce de théâtre intitulée « Ma belle-mère et moi » a consenti, une fois mis devant le fait accompli, au dépôt de la deuxième version de cette pièce, « Ma belle-mère, mon ex et moi » réécrite par un auteur 2.

Quelques années plus tard, l’auteur 1 a participé à l’écriture avec deux autres auteurs 3 et 4 d’une troisième version de la pièce de théâtre intitulée cette fois « Ma belle-mère et moi, 9 mois après », œuvre représentée par leur société de production « Franck Leboeuf Promotion ». 

Estimant que cette troisième version violait ses droits d’auteur inhérents à « sa » deuxième version, l’auteur 2 a d’abord mis en demeure la société de production et le théâtre où fut représentée l’œuvre litigieuse, ensuite assigné les coauteurs 1, 3 et 4 ainsi que la société de production, exposant notamment être victime de contrefaçon de droits d’auteur.

Jugement de première instance

Devant le Tribunal, les auteurs 1, 3 et 4 ont contesté toute contrefaçon de l'oeuvre revendiquée par l’auteur 2 expliquant que leur propre pièce ne constituait qu'une suite de celle écrite initialement par l’auteur 1 grâce la reprise de ces éléments originaux, qui ne sont pas des créations de l’auteur 2.

Par jugement du 11 octobre 2019, le Tribunal judiciaire de Paris n’a pas suivi leur argumentaire et a décidé que :
  • La version 2 de la pièce est une oeuvre composite originale, écrite par l’auteur 2, et bénéficie de la protection des droits d'auteur,
  • En reprenant des éléments originaux de la version 2 et en les reproduisant dans la version 3, les auteurs 1, 3 et 4 ainsi que leur société de production sont coupables de contrefaçon,
De sorte que la société de production et l’auteur 3 ont été condamnés à payer à l’auteur 2 la somme de 2.000 euros en réparation de l'atteinte au droit moral et la somme de 15.000 euros en réparation du préjudice matériel résultant des actes de contrefaçon.

Appel a évidemment été interjeté.
 

Arrêt de la Cour d’appel

(i) En premier lieu, la cour d’appel confirme que la 2ème version de la pièce est une œuvre composite.   

L’article L.113-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que :
« Est dite de collaboration l’œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques.
Est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière. »

En ce sens, l’absence de collaboration entre l’auteur 1 de la première version ainsi que les éléments de preuve fournis par l’auteur 2 de la deuxième version ont permis à la Cour « sans hésitation » de qualifier la seconde version de la pièce de théâtre d’œuvre composite.

(ii) En second lieu, la cour rappelle qu'en vertu de l'article L.122-4 du code de la propriété intellectuelle :
« Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l'adaptation ou la transformation, l'arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque.»

Certes, un arrêt de la Cour de cassation du 10 mars 1993 (Civ. 1re, 10 mars 1993, n° 91-15.774) a précisé que l’incorporation d’une œuvre première dans une œuvre composite n’est pas de nature à empêcher l’auteur de la première œuvre à poursuivre ou reprendre librement l’exploitation de son œuvre.

Il aurait pu en être rapidement déduit que l’auteur initial 1 était en droit de réaliser une troisième version sur la base de sa première pièce de théâtre et débouter l’auteur 2 de son l’assignation.

Cependant, il ressort de la comparaison à laquelle s'est livrée la cour entre la version 2 et la version 3 de la pièce que cette dernière, si elle reprend les mêmes quatre personnages principaux existant dans la version initiale, se présente comme la suite logique et chronologique de la version 2, lui empruntant de nombreux éléments tels le caractères de personnages et les intrigues.

La Cour en a déduit que « les co auteurs de la version 3 se sont manifestement inspirés des éléments clés de l'intrigue de la version 2 imaginés par E.R. (l’auteur 2) qui lui ont permis de remporter un vif succès, et non de la version 1, pour écrire une suite à la pièce, comme son titre l'illustre au demeurant. »

En reprenant les éléments originaux ainsi créés dans la version 2 de la pièce par l’auteur 2, les co auteurs 3 et 4 de la suite « Ma belle mère et moi, neuf mois après» se devaient de solliciter son accord, ce qu'ils ont au demeurant tenté de faire dans un premier temps en juin 2016 en lui reconnaissant sa qualité d'auteur de la pièce et en lui proposant un pourcentage de 10% des droits d'auteur sur la nouvelle version, avant de lui annoncer avoir renoncé à créer la suite de la pièce.

En conséquence, la Cour a décidé qu’à défaut d'avoir recueilli l'accord de l’auteur 2, tout en adaptant la version 2 que celui-ci avait écrite, les auteurs 1, 3, 4 et la société de production ont commis des actes de contrefaçon.

A noter que comme l’avait fait le Tribunal, la cour a pris soin de ménager l’auteur 1, en relevant que :
  • Il n’avait adopté aucun comportement fautif,
  • Il était seulement auteur de la « bible » et des personnages de la comédie initiale,
  • Il n’avait stipulé aucune obligation de garantie en faveur des auteurs 3 et 4,
De sorte qu’aucune condamnation ni garantie n’ont été retenues à son encontre.

Nonobstant le sort d’un éventuel pourvoi en cassation, cette décision est l’occasion de rappeler avec force que les auteurs doivent faire montre de prudence et de vigilance lorsqu’ils prévoient de réaliser des œuvres dans la continuité de travaux préexistants.


 

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